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Une tranchée pendant l'offensive du Chemin des Dames- Archives photographiques des Armées |
Lors de la Première guerre Mondiale, le 16 avril 1917 à 6 heures du matin, dans l’Aisne en France, débute la Bataille du Chemin des Dames qui se soldera - sept mois plus tard - par la victoire allemande du 24 octobre 1917.
Cette bataille fera 187 000 victimes du côté français et 163 000 du côté allemand.
L'échec de cette sanglante offensive est consommé en 24 heures malgré l'engagement des premiers chars d'assaut français. On n'avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes énormes : 30 000 morts en 10 jours.
Le général Robert Nivelle, qui a remplacé le général Joseph Joffre à la tête des armées françaises le 12 décembre 1916, est tenu pour responsable de l'échec de cette offensive mal préparée.
La désillusion est immense chez les poilus. Ils ne supportent plus les sacrifices inutiles et les mensonges de l'état-major. Des mutineries éclatent, bien qu'aucun soldat n'ait réellement braqué son arme sur un gradé et qu'aucune compagnie n'ait déserté. Ces mutineries surviennent à l'arrière du front, parmi les troupes au repos qui, après s'être battues avec courage mais inutilement, apprennent que leurs supérieurs veulent les renvoyer, sans aucune utilité, au front.
Le 15 mai 1917, le général Nivelle est limogé. Il est remplacé par le général Pétain, auréolé par ses succès de l'année précédente à Verdun. Pourtant, ce changement ne ramène pas la discipline dans les rangs et les mutineries se reproduisent en assez grand nombre jusqu'à la fin du printemps 1917.
Le nouveau commandant en chef Pétain s'applique surtout à redresser le moral des troupes. Il sanctionne avec modération les faits d'indiscipline collective, limitant à quelques dizaines le nombre d'exécutions. Déniées par l'Etat-major, tenues secrètes pendant plusieurs années et ne bénéficiant d'aucun échos dans la presse internationale d'alors, les mutineries du printemps 1917 sont passées pratiquement inaperçues des contemporains et n'ont suscité l'intérêt des historiens qu'à partir des années 1930.
L'historien Guy Pedroncini chiffre le nombre de condamnations à 3 500 environ et les exécutions effectives à 60 ou 70. L'historien Jean-Baptiste Duroselle évalue, quant à lui, à 250 le total des mutineries sur le front français au printemps 1917. Elles auraient impliqué un maximum de 2000 soldats et se seraient soldées par 27 exécutions pour faits d'indiscipline collective.
De nombreux écrivains et intellectuels étaient pourtant eux aussi mobilisés et se trouvaient sur le Chemin des Dames durant la Première Guerre mondiale. Ils témoignèrent tardivement et principalement à travers leurs œuvres respectives, de l'horreur de cette période.
- Le poète Guillaume Apollinaire fut l'un d'entre eux qui ne possédant pas la nationalité française en 1914, sa mère étant polonaise, se fit naturaliser et s'engagea volontairement pour combattre. Il se trouva sur le Chemin des Dames au bois des Buttes (près de Pontavert). C'est là qu'un éclat d'obus le blessa à la tête. Trépané, il profita de sa convalescence pour écrire
Calligrammes.
- Louis Aragon n'avait que 16 ans quand éclata la guerre. Il fut mobilisé en 1917 et incorporé en tant que médecin-auxiliaire au 355e régiment d'infanterie en 1918. Il suivit la contre-offensive alliée sur le Chemin des Dames en septembre 1918. C'est là qu'il commence son premier roman
Anicet et évoquera précisément cette expérience du Chemin des Dames front dans son roman A
urélien :
" Je me souviendrai toujours... C'était au Chemin des Dames... Le docteur, je ne le connaissais pas, il venait d'arriver au bataillon... J'étais sergent alors... J'avais une section... C'était un peu à l'ouest de Sancy... Devant nous, tout était bouleversé. Plus de tranchées, des trous d'obus, des entonnoirs... On avait avancé comme on avait pu... sur la pente, et un peu où ça faisait plateau... (...) Ni les Boches ni nous ne savions sur qui on tirait... "
- Jean Giono avait 19 ans quand la guerre éclata, et il fut donc incorporé dès 1914, versé dans le 140e régiment d'infanterie qui allait combattre sur tous les fronts : Champagne en 1915, Verdun en 1916, Chemin des Dames en 1916-1917. Sur le Chemin des Dames, son régiment défendit la position d'Hurtebise sur le plateau puis participa à la reprise du fort de Malmaison en octobre 1917. L'expérience du front fera de Giono un pacifiste acharné comme l'atteste son œuvre s'inspirant de son expérience au front,
Le Grand Troupeau :
" Il y avait toujours une trêve du petit matin, à l'heure où la terre sue sa fumée naturelle. La rosée brillait sur la capote des morts. Le vent de l'aube, léger et vert, s'en allait droit devant lui. Des bêtes d'eau pataugeaient au fond des trous d'obus. Des rats aux yeux rouges marchaient doucement le long de la tranchée. On avait enlevé de là-dessus toute la vie, sauf celle des rats et des vers. Il n'y avait plus d'arbres et plus d'herbe, plus de grands sillons, et les coteaux n'étaient que des os de craie, tout décharnés. Ça fumait doucement quand même du brouillard dans le matin."
- Alexandre Zinoview, comme Apollinaire, n'a pas la nationalité française en 1914. Russe émigré en France pour participer au bouillonnement artistique du Montparnasse de 1910, il s'engage donc volontairement, à l'appel de Blaise Cendrars dans la Légion Etrangère, puis est détaché au sein de la 1re Brigade Russe Spéciale, en tant que traducteur. C'est avec cette brigade qu'il combat sur le Chemin des Dames. Il dépeint l'offensive du 16 avril dans le tableau intitulé :
"L'Heure H du jour J".
Dans ses carnets, il la décrit en ces termes :
" J’ai regardé ma montre : il était 6 heures moins deux. Encore deux minutes, et ça va commencer. Quel vent froid ! Et si humide… Tiens, une tâche sur ma vareuse, je n’y avais pas pris garde depuis ma blessure. Ça doit être de l’encre. Hier j’ai rempli mon stylo. Où en est-on ? On ne voit pas Brimont, plongé dans la fumée. 6 heures moins une minute. 6 heures. Un grondement terrifiant déchire le voile de brume. Des milliers d’obus explosent dans le ciel. Le brouillard se mêle à la fumée. C’est parti… on voit des hommes sortir de terre et courir. L’espace d’un instant, la fumée d’éclatement masque une partie du chemin à parcourir, et on aperçoit des silhouettes noires sauter en l’air, puis retomber. Un bon nombre d’hommes rebrousse chemin, ils clopinent lentement, ce sont les blessés, tandis que les nôtres continuent à avancer... "