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Supplices de Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay Chroniques de France ou de St Denis,1380, British Library |
Le 19 mars 1314, le grand maître des Templiers, Jacques de Molay, est supplicié à Paris en compagnie de Geoffroy de Charay, grand maitre de Normandie.
Poursuivi par la haine du roi Philippe IV le Bel, Jacques de Molay et plusieurs autre grands maitres de l'ordre des templiers, en dépit du soutien du pape Clement V sont condamnés à la prison à vie - ce qui équivaut bien souvent à la mort certaine
Dans toute la France, des inquisiteurs interrogent et torturent plus de 138 templiers. Philippe le Bel triomphe, car nombreux sont ceux qui passent aux aveux et ils sont extrêmement graves : reniement du Christ, crachats sur la croix et baisers obscènes lors de l'intronisation, sodomie entre frères, idolâtrie. Jacques de Molay avoue lui aussi une partie des crimes : reniement et crachat lors de son admission en 1265. Les aveux du grand maître sont rendus publics et portent un coup décisif à la réputation du Temple. Les rois d'Angleterre et d'Aragon, au départ hostiles à Philippe, changent d'avis après ces révélations. Le pape, qui veut reprendre la main, leur ordonne de procéder à l'arrestation des frères présents dans leurs États. En Aragon et à Chypre, les templiers refusent de se soumettre et prennent les armes.
Cependant, Clément V considère avec méfiance la fiabilité de ces aveux et décide de suspendre la procédure royale mais le roi garde emprisonnés les templiers, au moins 178.
Jacques de Molay reste aux mains du roi, à Chinon. En août 1308, les cardinaux l'interrogent de nouveau et selon le procès-verbal il change encore de discours : il revient à ses premiers aveux. Les cardinaux l'absolvent et le réintègrent dans l'unité de l'Église. Ayant été pardonné, Molay est désormais lié à ses aveux, en cas de nouvelle rétractation, il risque désormais le bûcher pour relaps.
Un an plus tard, le 26 novembre 1309, il comparaît devant la commission pontificale chargée d'enquêter sur les templiers, en présence de Guillaume de Nogaret. Jacques de Molay tente à nouveau de se défendre, il se plaint de ne pas posséder les moyens nécessaires. Lors d'une nouvelle comparution deux jours plus tard, le grand maître déclare qu'il ne peut se défendre seul face à ses adversaires, se disant « pauvre chevalier illettré », il ne connaît pas le latin et n'a pas les moyens d'acheter de l'aide. Il déclare que l'ordre possède les plus beaux lieux de culte, qu'aucune autre institution n'a versé autant de sang pour la défense du Christ. Il refuse de parler davantage devant les commissionnaires et réclame d'être conduit directement au pape, le seul à pouvoir l'interroger.
Mais il n'est jamais amené devant le pape et n'est plus interrogé.
Les différents retournements de Jacques de Molay ne trouvent pas d'explication évidente. Il n'est pas prouvé qu'il ait été torturé mais plusieurs lettres contemporaines l'affirment et cela pourrait expliquer ces revirements. L'erreur du grand maître a sans doute été de se reposer entièrement sur Clément V. Ce dernier a bien tenté de le défendre dans un premier temps, mais il finit par préférer un compromis avec le puissant roi de France, au détriment des templiers.
Le 19 mars 1314, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay reviennent sur leurs aveux et clament leur innocence et celle du Temple. En conséquence, les juges condamnent Molay et Charnay au bûcher, condamnés comme relaps pour être retombés dans leurs erreurs.
Philippe les livre aux flammes le jour même, sur l'île aux Juifs.
Dès le 14e siècle, le destin tragique de Jacques de Molay inspire des auteurs. Boccace parle de lui dans son
De casibus virorum illustrium (
Des cas d'hommes illustres) comme parfait exemple d'homme modeste que la Fortune a porté au sommet et dont la chute fut d'autant plus spectaculaire. Cependant, c'est souvent la fin des templiers et de l'ordre qui marque la littérature et en particulier le bûcher spectaculaire du 11 mai 1310 durant lequel 54 templiers sont brûlés.
La légende la plus connue et la plus ancienne autour de Jacques de Molay concerne la malédiction qu'il est censé avoir lancée contre Philippe le Bel et les Capétiens. Selon l'historienne Colette Beaune, cette légende est née après un épilogue stupéfiant pour les contemporains de Philippe le Bel : comment le roi le plus puissant de la chrétienté, doté de trois fils, a-t-il pu voir s'achever sa dynastie et plonger son royaume dans la guerre de Cent Ans ? Dans les mentalités médiévales, comment expliquer la chute de cheval, l'adultère de ses brus, la mort précoce de ses trois fils si ce n'est par une raison surnaturelle ? La malédiction est cependant plus souvent attribuée à Boniface VIII, pape dont la mort est imputable à Philippe. C'est au xive siècle que la malédiction est clairement formulée. Paolo Emilio rédige par la suite une histoire de France pour le compte du roi François Ier où il met en scène la mort d'un Jacques de Molay maudissant le roi et le pape et les convoquant devant le tribunal de Dieu. Les historiens des siècles suivants reprennent son récit.
Cette légende s'est maintenue jusqu'à la suite romanesque historique
Les Rois maudits, rédigée par Maurice Druon entre 1955 et 1977, ajoutant au roi et au pape le garde du Sceau Guillaume de Nogaret, qui a procédé à l'arrestation des Templiers et à leur procès. Cette suite et ses adaptations télévisées contribuent à populariser encore davantage Jacques de Molay et sa malédiction :
« Pape Clément !… Chevalier Guillaume !… Roi Philippe !… Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races ! »
Blog de Jean-Jacques Handali